De multiples enjeux

La mobilité solidaire à la croisée de tous les enjeux territoriaux

Aborder la mobilité solidaire nécessite de changer de regard. Il s’agit de se défaire d’une approche technique, centrée sur les flux de déplacements, et de considérer la mobilité dans sa finalité d’accès. Cela implique de prendre en compte la multiplicité des enjeux qu’elle recouvre, dans une logique « d’accès à ». Sans oublier qu’elle est également un moteur indispensable face aux défis environnementaux actuels : nouvelles solutions, accès à des modes doux et actifs. Environnement, développement économique, champ social : la mobilité solidaire est un véritable levier pour construire un projet de territoire.

Une ardente obligation à visée sociale, susceptible de préserver la dynamique des territoires les plus enclavés.

Eric Le Breton
Sociologue et expert de la mobilité
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Dans quel contexte apparaissent les premières initiatives de mobilité inclusive ? Quels étaient les objectifs ? Par qui étaient-elles portées et comment ont-elles évolué ?

Les premiers dispositifs de mobilité inclusive apparaissent au milieu de la décennie 1990. De multiples structures d’intervention sociale s’équipent de parcs de mobylettes, louent de vieilles voitures remises en état et organisent des covoiturages. L’apparition de ces démarches participe du sentiment d’une dégradation de la situation socio-économiqueDans ce contexte, les professionnels de terrain prêtent attention aux propos des bénéficiaires qui évoquent des déplacements désormais trop compliqués, trop chers ou tout simplement impossibles. Ces initiatives des travailleurs sociaux sont mises en œuvre aussi bien dans les communes rurales et périurbaines, sur les territoires de la géographie prioritaire que dans les centres-villes.
C’est après, dans un second temps, que les services de l’État et, surtout, les collectivités locales s’impliquent dans la consolidation et la montée en puissance des dispositifs.
Enfin, à partir des années 2010, des opérateurs nationaux s’emparent de la mobilité inclusive. L’Ademe et l’ensemble des fondations d’entreprises (la Macif et PSA Peugeot-Citroën, la SNCF, Transdev et bien d’autres) se positionnent, notamment sur le soutien financier au développement des dispositifs.

En quoi les crises que nous connaissons sur la période actuelle nous invitent à rebattre les cartes, en quoi la mobilité solidaire fait partie des réponses à apporter ?

Les enjeux de la mobilité inclusive sont liés à la dégradation de la situation de l’emploi qui ne pénalise pas les catégories professionnelles de la même manière. Le taux de chômage sur le marché de l’emploi des cadres est de 5%, contre 25% sur le marché de l’emploi peu qualifié. Il faut croiser cette donnée avec les choix d’équipement des territoires faits depuis cinquante ans. Toutes les innovations de mobilité sont réservées aux cœurs de métropoles : les transports collectifs efficaces, les plateaux cyclables et piétonniers, les vélos et les voitures en libre-service, les applis des transporteurs et les « gilets rouges », etc. Hors des cœurs métropolitains, il reste la voiture qui consomme 21% du budget mensuel d’un ménage rural ou périurbain (enquête Budget des ménages 2017), ce qui fait beaucoup quand les revenus sont bas.
Ces situations déjà tendues sont amplifiées par la crise sanitaire de la covid-19, inscrite dans une séquence englobant la crise des Gilets jaunes (oct. 2018/mai 2019) et la crise des retraites (déc. 2019/ mars 2020). Ces crises successives ont opéré des coupes sombres chez les ménages modestes ; et l’effondrement, sur les 18 derniers mois, de l’activité économique « plombe » encore l’emploi peu qualifié, les CDD, l’intérim et le chiffre d’affaires de micro-entrepreneurs.
Dans ce contexte, la mobilité inclusive est une ardente obligation à visée sociale mais aussi susceptible de préserver la dynamique des territoires les plus enclavés.

La mobilité solidaire soulève un enjeu collectif d’apprentissage et d’éducation.

Gérard Hernja
Docteur en sciences de l’éducation et sociologue
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Qu’est-ce qu’être autonome dans sa mobilité ?

L’autonomie est en lien avec l’indépendance et la liberté. L’autonomie c’est donc, pour une personne, la capacité de choisir, parmi les ressources disponibles, lesquelles mobiliser pour répondre à ses besoins en mobilité. Quelles connaissances et types de savoirs faut-il maîtriser pour cela ? Les connaissances et les savoirs à mobiliser sont moins en lien avec l’objet qui permettra le déplacement qu’avec le sens qu’il faut donner à l’action et à la mobilité elle-même.
Passer le permis de conduire, avoir un vélo, tenir en équilibre et pédaler, apprendre à prendre les transports en commun, faire du covoiturage, lire des plans ou utiliser des applications mobiles nécessitent des savoirs ou des connaissances qui sont sans aucun doute nécessaires, mais qui pour autant ne sont pas suffisants, pour être mobile. Les personnes sur le terrain, au contact des publics fragiles, le savent par expérience. Celles qui prendront en charge la compétence mobilité devront donc proposer des actions qui prennent en compte tout ce qui manque pour aller vers une mobilité solidaire.

Qu’est-ce qui manque alors pour apprendre à être mobile ?

Ce qui manque le plus souvent, ce sont la compréhension des besoins réels des populations et la prise en compte de leurs forces et de leurs faiblesses. Ce qui manque c’est de savoir travailler avec chacun, c’est de considérer les personnes comme des acteurs et non pas simplement comme des usagers ou des bénéficiaires. Ce qui manque, ce sont des professionnels formés pour accompagner sur le terrain les plus fragiles. Ce qui manque, c’est la volonté de mettre de l’humain au cœur du processus de construction de la mobilité solidaire.
Ce qu’il faut, c’est alors un engagement sans faille en faveur d’une mobilité solidaire, parce que les personnes fragiles mais aussi les territoires ont tout à y gagner. Il est à ce titre essentiel de comprendre que les solutions toutes faites en termes de mobilité n’existent pas. Rien ne sera véritablement efficace sans mobiliser des moyens humains et sans considérer que la mobilité se construit à partir d’un processus d’apprentissage et d’éducation.